L’art et le tatouage : vecteurs sociaux et spirituels
La créativité, propre de l’être humain
Qu’est ce qui rend l’être humain unique? Scientifiquement parlant, une des seules choses différenciant l’être humain des autres animaux, est sa capacité d’abstraction. Son évolution l’a doté d’un cerveau capable d’imaginer et de concevoir des idées nouvelles, différentes du monde réel et concret qui l’entoure. « L’homme moderne a lentement acquit le pouvoir d’imaginer – de former des images mentales de choses qui n’existent pas et d’imaginer des concepts abstraits. L’habileté de visualiser mentalement une pensée ou une idée. L’habileté d’aller chercher dans un monde imaginaire et d’en rapporter les fruits dans la réalité. » (1)
Il y a environ 50 000 ans, cette étonnante faculté permet à l’Homo sapiens d’atteindre ce qu’on appelle la modernité comportementale. Le langage riche, complexe, et diversifié lui permet d’atteindre un niveau inégalé de communication avec ses pairs. L’avènement de l’art pictural, de sa manifestation la plus ancienne connue à ce jour il y a 40 000 ans, en est un brillant témoignage.
« L’ESPRIT de l’humanité est une extension du stupéfiant pouvoir créatif de la nature. L’ESPRIT des hommes crée des choses que la nature autrement ne pourrait créer.
Ils ont une imagination assez puissante pour devenir conscient des merveilles de la nature et imaginer la possibilité de l’existence de leur propre « créateur ». Les esprits les plus éveillés partagent un désir profond de créer de nouvelles technologies, de réaliser de magnifiques œuvres d’art et cherchent avec une curiosité sans limite à comprendre les secrets de la nature. » (1)
Les créationnistes proclameront que la créativité humaine est un témoignage de l’image de Dieu en l’homme car « La première chose que nous apprenons à propos de Dieu dans la sainte Bible est qu’Il a créé. Par conséquent, l’homme aussi crée. » (2)
Différentes fonctions de l’art visuel
Depuis plusieurs années, j’entretiens ma propre classification en trois parties des œuvres d’art. Avec le temps, cette classification s’est trouvée renforcée dans mes recherches sur l’art du tatouage et la sociologie et j’ai pu constater des classifications similaires chez d’autres personnes références dans ces domaines.
D’abord, tout comme sa première raison d’être historique, l’art est souvent utilisé comme mode de communication, d’où le langage pictural. C’est ce que j’appelle l’art rationnel.
Ce mode de représentation est parfois utilisé comme moyen d’archivage. Il est utile pour fixer un événement ou un état dans le temps (tels que les scènes religieuses et mythologiques reprises encore et encore) ou carrément en guise de langage écrit (dans les hiéroglyphes égyptiens par exemple).
Plus près de nous, l’art contemporain est souvent exploratoire, dénudé des caractéristiques des autres catégories et souvent soutenu par un argumentaire rationnel complexe qui en justifie l’existence.
Dans la catégorie de l’art rationnel de même que dans la suivante, nous pouvons être confrontés au symbolisme, c’est-à-dire une représentation concrète d’un concept abstrait ou l’utilisation d’un objet comme allégorie d’une autre chose.
Ensuite, il y a ce que j’appelle l’art émotionnel. Bien que l’art soit aujourd’hui reconnu comme moyen d’expression personnelle, il s’agit d’une notion plutôt récente qui date de l’époque Romantique en Europe (18e-19e siècle). En réponse au Classicisme rationnel et rigide, le Mouvement Romantique mettait en valeur l’émotion comme source d’expérience esthétique. Les artistes romantiques se caractérisent par la revendication du « je » et du « moi ».
Finalement, il y a l’art que je catégorise de purement esthétique, sans autre fonction que de représenter quelque chose de beau et de plaisant à l’œil. Les canons de l’esthétique peuvent évidement varier d’un lieu, d’une culture et d’une époque à l’autre.
Le tatouage comme forme artistique
Selon moi, les motivations qui poussent un individu à marquer son corps dans l’acte du tatouage suivent exactement la même catégorisation.
Dans certains cas, la personne souhaite le tatouage comme moyen d’archiver, de cataloguer son vécu et utilisera un motif symbolique pour représenter un événement, une personne, un intérêt important pour elle. C’est un engagement à vie à se souvenir. Dans la même idée, le tatouage a aussi souvent servi de signe d’identification entre les membres d’un groupe donné, avec ou sans le consentement de celui qui le porte (gang criminalisé, prisonniers, etc.)
Dans d’autres cas, le tatoué s’engage dans une démarche psychologique ou émotionnelle. La douleur peut à elle seule réaffirmer l’existence physique et le sentiment d’être en vie d’un individu, de même que provoquer la transcendance de cette existence (par exemple, l’auto-flagellation parfois pratiquée dans la religion catholique).
Dans plusieurs civilisations présentes et passées, le tatouage a souvent servi de rituels sociaux variés, entrelaçant physique, mental et spirituel. La douleur, associée à l’acte créatif du tatouage, devient un outil psychologique puissant.
David Bollt écrit : “En tant qu’artiste du tatouage, je suis sorti de ma coquille et j’ai travaillé intimement avec des milliers de personnes. À travers d’innombrables heures de douleur et de sang j’ai créé des images pour des gens en quête de découverte de soi. S’engager au tatouage et de soumettre à la douleur de l’expérience crée un lien unique entre l’artiste du tatouage et le client. Dans ces moments intenses où une personne saigne pour l’art, elle révèle souvent des vérités personnelles profondes dont je n’aurais autrement jamais eu connaissance. » (3)
De nos jours, de même que dans certaines civilisations plus anciennes (par exemple perses ou indiennes) le tatouage permanent ou temporaire est également employé à des fins purement cosmétiques pour modifier l’esthétique du corps de celui qui le porte.
Art et spiritualité
Dans un heureux mélange de tous les aspects cités si haut, l’art est aussi une partie intégrante de la spiritualité humaine. Les plus vielles représentations artistiques illustrent souvent des personnages divins ou les qualités mystiques des éléments de la nature.
Alex Grey écrit : “La mission d’un artiste est déterminée par sa vision de la vie. Dans chaque culture, le travail de l’artiste incarne et communique les réflexions qui l’aident à interpréter la vie et ses actions dans le monde. Différents travaux artistiques reflètent différentes visions du monde et niveaux de conscience : certains travaux se concentrent sur le monde physique ou les émotions, d’autres sont hautement mental, d’autres encore semblent dévoués ou guidés par la nature transcendantale de l’âme. L’artiste tente de rendre ces vérités intérieures visibles ou audibles, sensibles de quelque façon, via une manifestation externe matérielle (comme une peinture ou une chanson). Produire un art nouveau et transpersonnel requiert de l’artiste l’expérience personnelle du divin. » (4)
Mon cheminement artistique
Dans ma quête pour devenir un meilleur être humain, j’ai entrepris mes propres recherches en espérant trouver une solution au malaise social. Sans entrer dans le détail, j’en suis venue à valoriser la société holistique tribale, prônant une vie harmonieuse avec tous les êtres et la nature.
Dans notre société moderne, on voit surgir ce qu’on appelle les tribus urbaines. Il s’agit de micro-communautés, partageant des idées et intérêts communs, qui sont prêtes à sacrifier un peu de leur individualisme au profit d’un mode de vie altruiste, basé sur des valeurs communes tels que l’échange et le partage. Ces communautés s’appuient sur une morale dirigée par l’émotion plus que par la raison.
David Bollt écrit encore : « Je vois maintenant mon art comme étant connecté à l’expérience humaine au sens large. Solitude, peur, beauté et amour se manifestent maintenant en symboles et images pour nous tous. Dans le passé, l’intention de mon travail était que ma voix soit entendue. Maintenant mes tableaux sont devenus mon véhicule pour exprimer les plus profondes, les plus vraies, les plus crues et les plus universelles émotions humaines. Avant mon expérience d’artiste du tatouage, je me sentais seul et mon travail parlait de moi. Maintenant je réalise que même dans mes moments les plus sombres je ne suis pas seul. Toute l’humanité se tiens à coté de moi. Un univers d’expérience se trouve en chacun de nous. Je crée des images qui parlent de cette expérience commune. Du plus profond de mon imagination, je crée des images pour toucher le cœur de gens et leur laisser savoir qu’ils ne sont pas seuls.
Les histoires de mon art ont été tissées de douloureuses aiguilles pointues et d’un mince fil d’encre et de sang. J’ai cousu une tapisserie de signification dans le tissu de la peau humaine. A travers ces sutures j’ai vu des choses que je n’aurais jamais imaginées. Mon cœur, mon esprit et mon art de seront plus jamais les mêmes. » (3)
Dans ma tribu urbaine de tatoués, j’en suis venue à la conclusion que ma mission est de constamment devenir une meilleure artiste et de rejoindre le plus de personnes possible avec la beauté et la douceur donc j’essaie consciemment d’empreindre mes œuvres.
Ainsi soit-il.
Un véritable artiste est un artiste qui touche tout le monde – Bernard Werber
Le peintre doit tendre à l’universalité. – Léonard de Vinci
Références
(1) The Creative Geniuses of Mankind – Donald L. Hamilton – http://novan.com/suprmind.htm
(2) Man’s Creativity: Literature, Music, Fine Arts – http://www.creationism.org/csshs/v12n2p02.htm
(3) About tattooing and Art – David Bollt – http://www.davidbollt.com/About_the_Artist/Entries/2008/8/20_About_Tattooing_and_Art.html
(4) The mission of Art – Alex Grey – http://www.alexgrey.com/essay/mission.html
(5) Holistic public sociology – Vincent Jeffries – http://www.sorokinfoundation.org/public.html
(6) Indigenous Justice Systems – Ada Pecos Melton – http://www.americanlawreview.com/tribal_systems.html
(7) Ishmael – Daniel Quinn – Bantam
(8) The Time of the Tribes – Michel Maffesoli – Sage Publications
(9) Still Life – Norbert Shneider – Taschen
(10) Caravaggio and His Followers in Rome – National gallery of Canada
(11) Wikipedia